"Comme le rappelle le spécialiste en psychologie sociale Jean-Léon Beauvois, nous sommes sensibles à de multiples stimuli qui nous rendent perméables à la manipulation.
Le plus efficace n'est pas le moins étonnant : l'appel à la liberté.
Plus nous nous croyons libres, plus nous sommes influençables.
Ce serait donc dans les démocraties, ce régime qui a vu naître la réthorique, que l'homme serait le plus exposé au risque de manipulation. Ce qu'ont fort bien compris les radicaux musulmans mais aussi les sectaires de tout acabit.
La meilleure manière de leur résister? Douter. Accepter de s'interroger sur le monde, mais aussi sur soi et ses motivations."
Le Point, Références, Mai-Juin 2015
L’esprit critique est un outil fondamental de toute pratique ésotérique. Que ce soit dans une approche théorique ou expérimentale, il est l’arme de base du tout débutant au plus fin connaisseur de l’ésotérisme.
Nécessaire, dans tout échange, dans tout apprentissage, il est la boussole qui permet d’éviter de s’égarer dans la tempête de la bêtise humaine ou de la dérive sectaire, dans toutes les disciplines de la vie.
@Fennec et @Hagel se lancent ainsi dans un petit guide de l’esprit critique. Comprendre ce qu’il est, ses limites, comment l’utiliser à bon escient.
Nous vous recommandons de la lecture complémentaire à ce dossier à quatre mains :
L’introspection
Critique de l’intuition pure
Deux options :
Une version résumée de ce dossier,
La version complète du dossier, sur ce post.
Définition :
Esprit (dans ce contexte) :
(Philosophie) Principe de la pensée et de la réflexion.
Aptitude intellectuelle particulière.
(En particulier) Vivacité dans la réflexion.
(Par extension) Mémoire, ensemble des pensées d'une personne.
(Par métonymie) Être humain dans ses activités intellectuelles.
Critiquer :
Exercer son intelligence à démêler le vrai du faux, le bon du mauvais, le juste de l’injuste, en vue d’estimer la valeur de l’être ou de la chose qui est soumise à cet examen.
Racine greque : de κρίνω
-> Séparer :
Trier.
Distinguer.
Choisir.
(Par suite)
Décider, trancher.
Décider, résoudre, expliquer, interpréter.
(Par extension) Juger, estimer, apprécier.
Attribuer, adjuger.
Décider, résoudre
Mettre en jugement.
Les antonymes (contraires) de la critique :
Dogmatisme, adulateur, adoration, crédulité, éloge, foi, ignorance, apologiste...
Importance :
L’esprit critique s’oppose à l’absence de réflexion. L’esprit critique s’oppose au dogme, à la dérive sectaire, à l’affirmation sans contestation, à l’opinion, l’absence de remise en question d’une idée, d’une connaissance, d’un fait.
C’est sans compter que l’humain est par définition faillible. Qu’il répond à ses propres désirs, sa propre vision du monde, et aussi ses propres intérêts (conscients ou non conscients).
C’est là où la critique, par l’analyse et l’étude, intervient pour démêler les fils de la maïeutique.
Critiquer, c’est discerner, et faire la lumière (au sens de l’intelligence consciente) sur un échange.
Et ses outils sont accessibles à tous.
Depuis l’Antiquité, avec Socrate, Platon, puis en passant par Kant, Hegel, Husserl, Popper, tous se sont attachés à comprendre les mécanismes de la critique, du fait, du réel, dans une quête diverse : vérité, connaissance, limite de notre esprit et du monde.
La critique fonde notre société, elle est ce qui nous a permis les découvertes scientifiques jusqu’à présent.
C’est elle qui nous a fait comprendre que la Terre est ronde. Qu’elle n’est pas le centre de l’Univers. Que le soleil est le centre de notre système planétaire. Que notre galaxie fait partie d’une supra-galaxie. Que l’hygiène est une nécessité médicale : Ignace-Philippe Semmelweis (1818-1865) démontra l’utilité du lavage des mains après la dissection d’un cadavre, avant d’effectuer un accouchement (ce qui se faisait couramment), grâce à l’empirisme statistique, avant même que l’existence des microbes ne soit découverte...
Les outils de l'esprit critique (en particulier pour l’ésotérisme) :
La connaissance :
Idéalement, connaitre les références du domaine utilisé. Ou être en mesure de les retrouver. Critiquer demande de connaitre le sujet. Nous ne pouvons être compétent dans la critique si nous ne savons pas de quoi nous parlons.
Sinon, c’est de la bêtise ou de la diffamation.
La définition et la compréhension d'un paradigme :
https://www.youtube.com/watch?v=Z4LfoJXAjH0
- le scepticisme philosophique, qu'il qualifie “d'ancien”: c’est un moment nécessaire dans une doctrine philosophique. Ici le scepticisme est considéré comme une philosophie dont il ne serait que le côté négatif.
- le scepticisme anti-philosophique, dit aussi “moderne” selon Hegel, celui qui nie la philosophie, et qui lui est hostile.
- le scepticisme, séparé de la philosophie mais non ennemi d’elle.
- L'avare cognitif (1984) : les sujets vont économiser le plus possible leurs ressources mentales pour interpréter des informations. Les ressources cognitives seront donc plus limitées, et utiliseront des raccourcis tels que la catégorisation (d’où naissent les préjugés), ou la focalisation (on sélectionnera plus facilement une info, et on fera l’abstraction des autres). Ce système de gestion permet la simplification des informations pour arriver facilement à un monde cohérent et rassurant pour le sujet.
- Le tacticien motivé (1991) : le sujet utilise volontairement ses ressources cognitives pour répondre à des buts et optimiser sa prise d'informations; on notera plus de fluidité dans le passage d'un outil cognitif à un autre, et un équilibre entre les exigences cognitives et les relations à autrui. La métacognition est à l'oeuvre.
- Les illusions qui sont dûes à une erreur d'interprétation du monde réel suite à un dysfonctionnement de l'appareil sensoriel. Elles peuvent être de modalités sensorielles différentes (visuelles, auditives, kinesthésiques, …), et d’origine diverses (physiologique, physique ou cognitive). Certaines illusions peuvent être naturelles, ou provoquées par une lésion cérébrale (tumeur, trauma crânien, épilepsie, avc, etc). Je vous en nomme quelques unes pour illustrer mes propos, mais le sujet est vaste.
- les biais émotionnels : Un biais émotionnel a des effets similaires à ceux d'un biais cognitif. Mais la distorsion résulte d'un blocage de l'attention ou de mémorisation dû à l'affect plutôt qu'à l'intellect.
Beck a longtemps travaillé sur le rapport entre la tendance à l'anxiété et la dépression, et la façon dont le cerveau traite les informations. D'autres ont pu aussi mettre en évidence l'effet du stress qui peut aussi participer à la distorsion cognitive, et l'entretien des pensées et émotions négatives.
Eysenck explique qu'à l'origine de ses distorsions chaque individu est pourvu d'un schéma cognitif propre: ces schémas cognitifs sont des structures cognitives permettant la sélection, l'encodage, l'organisation, le stockage et le rappel d'informations perçues. Au sein de ces schémas, nous avons tous des thèmes prédominants et des croyances de par notre histoire de vie. Par exemple, on peut vous avoir inculquer durant l'enfance que la vie est nécessairement difficile, qu'il ne faut faire confiance à personne, ou que vous êtes au-dessus des autres. Selon les schémas dont on dispose, on sera plus ou moins sensible à un certain type d'infos, on les percevra et minimisera plus ou moins facilement.
Selon Eysenck, chez les sujets anxieux, les thèmes du danger et de la vulnérabilité personnels sont centraux dans leurs schémas.
Les sujets anxieux mettent en oeuvre des opérations cognitives qui les amènent à surestimer la probabilité d'apparition, la gravité des évènements négatifs, et à sous-estimer leurs capacités d'adaptation.
Dans son travail avec des personnes atteintes de dépression, Beck et David Burns ont identifié chacun quelques erreurs systématiques de pensée:
- La pensée dichotomique: “tout ou rien”
Si un évènement ou un résultat ne se passe pas comme nous l'attendions, nous le percevons de façon extrême. C'est souvent le cas chez les personnes perfectionnistes ("si je suis le deuxième de la classe, c'est que je suis nul"). - L'inférence arbitraire : c'est quand on prévoit arbitrairement une conséquence négative ou quand on infère des pensées à une personne, avant de pouvoir en vérifier les faits ou les conclusions.(“Je ne vais pas lui plaire de toute façon.”)
- La surgénéralisation : quand un sujet vit une situation et qu'il aura tendance à conclure que c'est un fait habituel. (ex: "les hommes, tous des salauds" ou "elle ne veut pas sortir avec moi, je serais malheureux en amour toute la vie". )
- L'abstraction sélective : c'est un filtre où le sujet ne sélectionne que les informations négatives, il ne retient pas les nouvelles joyeuses ou positives. (Une personne réussi une épreuve sportive, mais ne retient que ses fautes ou les maladresses).
- La dramatisation (ou amplification) et la minimisation : exagération ou réduction du poids d'un évènement. (on peut exagérer un échec "j'ai raté ma vie", ou au contraire dire "j'ai réussi mais c'est par chance").
- La personnalisation : se rendre directement responsable d'un évènement, la conduisant à la culpabilité. ("si mes parents se disputent, c'est de ma faute".) On pense qu'on a une influence directe sur la vie d'autrui, et on s'en sent responsable.
- Le raisonnement émotionnel : C'est quand on justifie une idée en s'appuyant sur nos émotions ressenties comme gage de preuve. ("j'ai peur de l'avenir, c'est que j'ai l'intuition que ça va mal se passer". "Je ne connais pas X, mais je ne peux pas le sentir: ça doit être une mauvaise personne".)
- Les croyances sur ce qui devrait être fait : le sujet a des attentes particulières d'une situation ou de personnes, sans prendre en compte la possibilité d'effectuer celles-ci.
- L'étiquetage : c'est le fait de se coller à soi-même ou à autrui une étiquette, une catégorisation définitive, un jugement à la place de qualifier un comportement ( "il a fait une erreur, donc il est nul". "Il a raté un plat une fois, il est donc mauvais cuisiner").
- Le blâme : on pense que les autres sont responsables de nos émotions, ou inversément: nous sommes responsables des émotions d'autrui. (“c’est à cause de toi si je suis en colère”).
Quelquefois, la nuance entre le biais émotionnel et les jugements intuitifs est mince. Si on a tendance à écouter notre voix intérieure, on pourra toujours prendre en compte nos projections personnelles et nos attentes d'une personne ou d'une situation, pour avoir un aperçu plus objectif sur nos propres pensées. Par exemple, sur la formation d'impression à propos d'autrui: quel est mon ressenti? Qu'est ce qui peut me donner ce sentiment, cette émotion (son attitude, son visage, ce qu'il dit, ses habits, le contexte de rencontre), que me rappelle-t’il? Quelqu’un, ou une situation que j’ai vécu? qu'est-ce que j'attends de lui? comment y a-t’il répondu? comment je me sens aujourd'hui? quelles sont mes préoccupations actuelles?
C'est une liste non exhaustive de question, mais à partir de là, on peut essayer de comprendre une part plus subjective de notre perception.
Les biais cognitifs:
Ce sont des erreurs de traitement de l’information dans les sphères cognitives de l’individu: l’attention, la mémoire, le raisonnement, le jugement, … voici quelques exemples non exhaustif pour vous donner des exemples:
Perception sélective
Biais d'attribution
Effet de halo
Effet de simple exposition
Effet Dunning-Kruger
Illusion de savoir
Effet râteau
Biais de confirmation d'hypothèse
Biais de représentativité
Dissonance cognitive
Illusion des séries ou corrélation illusoire
Effet barnum
Effet de contraste
Effet de simple exposition
Le point de vue des représentations sociales :
A savoir: le fondement de la théorie des cognitions sociales part du principe qu'il y'a des sujets qui font des erreurs, et d'autres qui ont un raisonnement optimal: une personne avec un raisonnement parfait, qui ne fait jamais de biais, cela existe-il? J'en doute. Le danger de prendre au pied de la lettre ce genre d’idées est de scinder le monde rationnel/scientifique et le monde des scientifiques profanes, de l'intuitif, ou encore de la pensée dite "prélogique ou primitive" (terme employé par les anthropologues européens du XIX-début XXème siécle, pour catégoriser "la pensée magique").
Moscovici a bien mis en évidence que les deux types de raisonnement (logique, prélogique) était tout deux présents dans notre société selon un contexte donné, et même au sein de la psychologie même. Par là, il associait la psychologie cognitive à une pensée logique, et la psychanalyse à une autre plus proche du prélogique.
Prenons par exemple l'expérimentation de Nemeroff et Rozin en 1989: "on est ce que l'on mange":
« You are what you eat: Applying the demand-free "impressions" technique to an unacknowledged belief », Ethos, the Journal of Psychological Anthropology, n° 17, 1989, p. 50-69
Dans cette expérience testée sur des étudiants nord-américain, leur objectif est de montrer que les sujets des civilisations occidentales utilisent différents modes de raisonnement, dont la mentalité prélogique, et la loi de contagion dans cette expérience. La loi de contagion admet une continuation de l'effet symbolique de l'animal ingéré sur la personne. Il est à la base du principe d'incorporation, et donc de l'expression "on est ce que l'on mange. Dans le contexte de cette situation, les sujets pâtissent d'un manque d'informations et de précisions, donc ils favorisent la pensée magique.
Les sujets pensent que dans une culture où l'on mangent préférentiellement du sanglier, le peuple a une caractéristique conforme à l'animal (plus belliqueux, vifs, bon chasseurs), et ceux consommant des tortues de mer seront décrits comme plus pacifistes, plus cueilleurs que chasseurs.
La croyance « de devenir ce que l'on mange » est basée sur l'observation quelquefois d'un lien entre l’apparence d’une espèce animale avec son type alimentation. Cette croyance crée chez les sujets un affect prononcé envers leur alimentation, et influence donc leur manière de concevoir la nourriture, leur rapport à l'alimentation. Le processus émotionnel est donc plus impliqué que l'intellect, et s'associe au principe de contagion: quand un homme entre en contact avec un élément, il prend des caractéristique de ce dernier.
En plus du contexte situationnel, l'approche psychosociale prend en compte le système social, le fonctionnement social qui appuie une façon de penser particulière: certains "biais" découlent de la société. Ils ont une fonction sociale. Par exemple, erreur fondamentale d’attribution ne serait pas une interprétation erronnée de la réalité mais une résultante de l’idéologie méritocratique dans notre société qui favorise les causes internes ("j'ai eu une bonne note car j'ai travaillé, ce n'est pas de la chance"), ainsi que
la croyance en un monde juste.
Je rappelle aussi que ce qui nous semble rationnel ne l'est pas dans d'autres cultures: Maladies "paranormales" et rationalité : L'opposition des rationnalités
L’influence des normes sociales:
Nos attitudes, nos pensées et nos comportements sont donc influencés par les normes de notre société. Pour rappel, une norme sociale, c'est l'ensemble des valeurs, opinions, des règles de conduites, implicites qui reflètent l'approbation ou désapprobation de la société.
Elle est:
• Est l’expression d’une collectivité (consensus du groupe)
• Fait l’objet d’un apprentissage social, d’une transmission sociale
• Est désirable mais ne renvoie pas à un critère de vérité
Avant de parler des concepts de manipulation et d’influence, voici quelques phénomènes d’influence sociale que nous pouvons tous observer au quotidien:
- Le conformisme :
Dans une expérience de Asch, on remarqua qu'un individu pouvait émettre un jugement en dépit du bon sens car il souhaitait se conformer à l'opinion d'autrui. C’est une pression sociale à l’uniformité. - La soumission à l’autorité :
L’ expérience de Milgram montre à quel point des sujets en état agentique, obéïssent à des représentants de l’autorité (faux scientifique en blouse blanche) en dépit de l’éthique. - La facilitation sociale
Triplett mis en évidence une augmentation des performances de sujets quand ceux-ci se trouvent en présence avec autrui, ou quand ils produisent la même tâche. On a remarqué à l’inverse le phénomène d’inhibition sociale. - L'effet Pygmalion :
C’est une prophétie auto-réalisatrice découverte par Rosenthal et Jacobson, où un sujet sur lequel on a posé une catégorisation positive (“tu es bon en maths”) développera le comportement attendu par cette dernière. Il y’a eut beaucoup d’expériences faites en école, pour mesurer les conséquences des préjugés des instituteurs sur les enfants. A l’inverse, quand une étiquette posée est négative, on appelle cela “l’effet Golem”. - La désirabilité sociale
C’est quand un sujet cherche à se présenter de façon à être désirable, conformément aux normes sociales. Il va ainsi modifier son attitude, ses paroles, pour apparaître sous un angle positif à son interlocuteur (répondre être favorable à l’écologie, arranger un peu ses réponses pour insister sur ses actes “écolos” ou omettre certains détails). - La polarisation de groupe:
C’est un phénomène où les sujets tendent à prendre une décision ou un point de vue plus extrême, alors qu’isolément les sujets auraent eu une pensée plus modérée. - La norme d’internalité
C’est une norme sociale que l’observe plus souvent dans des situations d’embauche ou de concours. En effet, on valorise plus les personnes qui s’attribuent des causes internes (par exemple: “j’ai une bonne note car je suis travailleur”) que des causes exterieures à lui (“parce que j’ai eu de la chance”). Les employeurs jugeront plus actifs et efficaces ce type de personne (alors que dans certaines situations amicales, l’attribution de causes internes peut seulement faire passer l’individu pour un gros vantard.)
Une expérience ici - L’effet Témoin ou Spectateur
C’est quand on observe dans des situations d’urgences (agression, danger, etc) le comportement de sujets qui restent passifs face à la scène. Plus il y’a de personnes alentours, plus la responsabilité est diluée et les gens se sentent moins concernés, car ils l’attribuent à autrui. Quelqu’un va bien finir par réagir… Experience sur la non-assistance à personne en danger - L’influence des minorités actives
C’est un concept développé par Moscovici. Il explique quels sont les enjeux poussant une majorité à être influencé et à accepter une minorité “déviante”, à travers le mécanisme de conflit/résistance, et d’influence latente. Pour comprendre un peu plus... - Il en existe encore tant: influence via l’attractivité de la source, le phénomène des foules, la comparaison sociale…
La manipulation et l’influence: quelle différence ?
Selon une définition de l’anthropologue Breton, la manipulation est une violence psychologique: c’est "rentrer par effraction dans le mental pour y déposer une opinion ou provoquer un comportement sans que la personne n'en prenne conscience". Il n’y a pas de champ de liberté, ni de conscience du sujet.
A partir de cette définition, on peut soulever quelques critères de la manipulation:
- Elle va à l'encontre de libre arbitre d'autrui
- Elle se traduit par des mécanismes implicites, telles que la falsification ou la dissimulation des propos.
- Elle peut servir à dominer une personne ou arriver à ses fins.
- Elle sert aussi à favoriser son intérêt à celui d'autrui, ou à effectuer ce que l’on pense le mieux pour lui. Dans tous les cas, c’est l’irrespect de la pensée ou de la décision d’autrui.
L’influence, elle est un acte de co-réalisation: le sujet à la fois source et cible d'influence. Il existe une réciprocité: s'ouvrir à l'autre, à son influence, communiquer, comprendre, et répondre. L’influence est centrale, permanente, il s’agit d’un phénomène social normal (Laurens 2007). Contrairement à la manipulation, elle laisse un espace de liberté: une place pour l'accord ou désaccord. Elle est dépendante des normes: nos comportements sont encadrés par les normes sociales (ex: influences sur les rôles sexués: par la télé/publicité, les jeux).
Les techniques de manipulation se basent sur le principe de l'engagement et de la dissonance cognitive:
- Le gel décisionnel
Lewin (1947) a expliqué que pour obtenir de quelqu’un qu’il modifie ses comportements ou ses idées, plutôt que de le persuader ou de le commander, il est plus aisé de le faire changer grâce à une stratégie comportementale basée sur la liberté décisionnelle. Ainsi le sujet qui a pris une décision tend à la “geler” et garder un comportement cohérent avec celle-ci.
- Le “vous êtes libre de”...
C’est une technique verbale mis en évidence par Kelley (1967), permettant de créer l’illusion de liberté: “rien n’est plus facile que de créer un contexte de liberté. Il suffit d’assortir la requête faite à l’acteur d’une phrase affirmant qu’il est libre de faire ou de ne pas faire ce qu’on attend de lui.” Joule et Beauvois en 1998
- Le pied dans la porte
C’est une technique d’engagement très connue et utilisée par les publicitaires et commerciaux, qui consiste à demander à autrui d’effectuer un comportement peu coûteux avant de faire une seconde demande portant sur un comportement voulu plus coûteux.
- La porte au nez
Cette fois ci, c’est l’inverse: on formule à autrui une première demande trop coûteuse pour être acceptée, et ensuite on lui présente une requête moins coûteuse.
- Le low-ball
C’est une autre technique permettant d’affecter la soumission d’une personne à une requête. Le principe d’une acceptation initiale semble conduire le sujet à persévérer dans cette décision, alors que les critères d’origine à l’acceptation de la demande, disparaissent.
- Le leurre
Cela consiste à conduire une personne à prendre une décision afin qu’elle pense obtenir un avantage, puis quand la décision est prise, on l’informe que l’avantage n’est plus possible. Le sujet produit alors un comportement de substitution, mais pour lequel elle ne perçoit pas les mêmes avantages.
- La “lingua quintae respublicae”
La langue de la Vème République (E.Hazan) fait référence à la Lingua Tertii Imperii de Klemperer afin de définir la langue du IIIème Reich. Il rend compte comment le langage peut être volontairement lissé afin de rendre acceptable des réalités qui le sont beaucoup moins. Le politiquement correct! (femme de ménage= technicien de surface, plan de licenciement massif=plan de restructuration, …)
- Le pied dans la bouche
Avant de formuler une requête, le fait de demander à quelqu’un comment il se porte, (et donc de répondre rituellement “content de l’entendre” ou “heureux pour vous”) accroît la soumission de l’interlocuteur à cette demande. On adopte un comportement consistant, positif en écho à la parole du demandeur.
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- Et tant d’autres: l’étiquetage, le toucher, la culpabilité...
Elles s’appuient aussi sur les théories du behaviourisme : un comportement acquis par apprentissage, ou par renforcement (à travers le plaisir par exemple).
On peut parler de différents niveaux de manipulations :
- les intentions conscientes et actives : comme dans la définition de Breton, on manipule intentionnellement, pour nuire ou tirer profit de quelqu’un ou d’une situation.
- les intentions plus inconscientes: il est difficile de définir les limites de la manipulation: "l'enfer est pavé de bonnes intentions". Si on essaye de prévenir quelqu'un "ne lis pas ça, tu vas te faire manipuler", on s'oppose à son libre-arbitre, on veut lui imposer notre vérité… ceux qui veulent interdire les manipulations sont-ils finalement des manipulateurs?
Ici nous sortons du schéma caricatural du sujet fragile ou influençable se faisant manipuler par un dangereux gourou. Nous manipulons tous, il existe différents degrés de manipulation dans toutes les relations, et notamment dans notre cercle intime: entre proches, entre parents/enfants, ("fais moi plaisir, tonds le gazon"; "je pars de la maison, je ne t'aime plus").
Les conséquences : Les conséquences de ces procédés peuvent être variables, mais peuvent facilement devenir graves sur le plan psychique, physique, intellectuel, relationnel, social et financier. On remarque que dans beaucoup d’expérience en psychologie sociale, les expérimentateur font appel à des sujets naïfs, des cobayes qui ne savent pas que les véritables objectifs de l’expérience sont à leur insu, et donc différents de ceux qu’on lui a expliqué. Ces expériences, quelque soit le domaine scientifique, doivent toujours se questionner sur leur portée éthique.
Les fantasmes de manipulation: on remarque souvent qu’il y'a une tendance à associer la simple notion d'influence à des notions péjoratives de soumission, de conformisme, et d’obéissance.
On note un rapport assymétrique entre la source et la cible
à propos de la cible: c’est le stéréotype de monsieur tout le monde, qui n’a pas de qualité particulière.
la croyance en un acteur qui est soit "tout puissant" et omnicient. Il fait partie des figures de l'ordre ou l'autorité, il est conscient et tire son bénéfice, face à une pauvre cible soumise et passive, inconsciente à l’inverse.
Dans la législation française, on connait la loi About-Picard qui permet la prévention et la répression du délit de manipulation mentale des mouvement sectaires (la sujetion psychologique: de subjectum, qui est soumis, subordonné).
Cela appuie la croyance en une source manipulatrice diffuse et cachée pour mieux lui attribuer des intentions négatives:
- fantasme d'une source lointaine omnipotente
- plus facile à attribuer qu'à un proche, pas de limite à l'imagination humaine pour trouver des explications externes: théorie du complot, décision divine
- loi de l'attribution: on a tendance à chercher une causalité externe (manipulateur) plutôt qu'interne/liée à la décision de la personne, pour trouver une cohérence/explication rassurante. L'influence est une explication plus commode est rassurante.
De plus, le contexte de notre société démocratique, véhicule des valeurs idéales telles que la liberté, l’autonomie et l'individualisme, où l’on cherche à se démarquer des autres: cela est propice à la formation de craintes et de fantasmes de la manipulation. Se faire influencer, cela renvoie à la faiblesse, voire à la bêtise, à la caricature du mouton (alors qu’ en Asie, la liberté est plus souvent considérée comme une valeur péjorative, un manque de rigueur, et de l’égoïsme.) Les interprétation naïves permettent de les justifier: on aboutit à décrire une société tyrannique opposant maître et sujet. La manipulation est aussi plus souvent liée à des figures d’autorité, ou de légitimité, comme l’influence des parents ou des instituteurs sur les enfants, des supérieurs sur ceux qu’ils dirigent, des médecins sur leurs patients...
Aujourd'hui le terme "techniques de manipulation" qu’on retrouve un peu partout, que ce soit dans la vente, la publicité, ou sur les blogs d’autoproclamés “mentalistes”, fait dire que n'importe qui peut manipuler, donc ça effraie tout le monde car ce n'est plus l'apanage que d'un seul type de source. Il n’y a plus de garantie morale, les fantasmes à ce sujet font presque penser aux craintes provoquées par les envoûtements.
Je voudrais aussi soulever un terme, qui revient un peu trop sur la toile, fruit d’un fantasme, qui veut dire tout et n’importe quoi: c’est la mode du "pervers narcissique". On y décrit une personnalité pathologique, un caractère type du manipulateur. Cette étiquette permet d’office de catégoriser des personnes comme étant “le mouton noir” de notre société. C’est une idée largement véhiculée dans les médias, sur les forums, et à travers des ouvrages brassant -dit vulgairement- de la “psychologie de comptoir”.
L'esprit critique en pratique :
Kant considère qu'il y a trois étapes nécessaires et successives du jugement critique, et de toute recherche.
Après avoir établi la probabilité d'une proposition,
puis, si nécessaire, sa vérité de fait,
l'esprit doit rechercher la nécessité, c'est-à-dire comprendre pourquoi il en va ainsi et pas autrement.
(Critique de la raison pure)
Grille de critique :
- Par qui, pour qui et neutralité ou pas?
- Commencer par distinguer la problématique ou le sujet exposé.
- Le sujet, argument, problématique est-il accompagné d’exemples concrets vérifiables/d’arguments constructifs?
- Quelles sources?
- Les sources sont-elles des sites/journaux/livres reconnus pour leur sérieux, la qualité de leurs approches?
- La théorie/pratique peut-elle être reproduite dans le cadre d’une contre-expérience?
Attention :
Le “par qui” ne doit pas faire office d’argument d’autorité. Même s’il peut raisonnablement amener à attribuer une confiance sociale.
Le meilleur exemple de détournement : Platon a fait deux phrases sur l’Atlantide, ça persiste toujours, sans aucune preuve scientifique. Il faut ainsi distinguer la croyance du fait.
Attention :
Ce n’est pas parce que la majorité pense avoir raison qu’elle n’a pas tort. L’Histoire nous a largement donné la preuve de ce fait.
Si :
Les sources sont cachées ou non indiquées ou non accessibles : la personne n’ouvre pas son propos à la critique. Nous pouvons raisonnablement douter.
Si :
Les sources ne sont pas neutres : partis pris, engagement spécifique, manque de références des sources elles-même. Nous pouvons raisonnablement douter de la validité de l’appui de la théorie.
Si :
Il n’y a pas de sources (travail innovant). L’innovation doit être reproductible par des contres-expériences qui tiennent compte des biais sociaux, religieux et ésotériques (égrégore, problème de précision…)
Si :
Il n’y a pas de sources, vous n’avez pas les moyens (techniques, pratiques, ésotériques) d’effectuer une contre-expérience : il y a t’il des pairs reconnus qui ont soutenus et validés la théorie ?
Si non : nous pouvons raisonnablement douter.
Si oui : nous devons vérifier si cet appui n’est pas produit par copinage ou par intérêt.
Si :
L’article est contre ou pour quelque chose/quelqu’un. Le parti pris peut biaiser une idée. Nous devons faire preuve de discernement entre les intérêts et l’idée exposée. Veillez à vérifier que tout a été abordé, et rien omis.
Ne pas hésiter à :
Consulter un autre avis (critique)
Prendre du recul.
Il vaut mieux douter et faire erreur, que croire sans remettre en cause et ainsi s’égarer.
Ses limites :
Les travers de notre société :
La sur-abondance d’informations noie l’essentiel. L’esprit de synthèse s’associe ainsi à l’esprit critique pour un meilleur exercice du discernement.
D’où l’importance de discerner les engagements d’un texte, d’un article, d’un propos : le thème exposé, la problématique associé, et l’organisation des idées/exemples/pratiques pour son étude.
Si vous ne vous sentez pas capable de produire ce travail (noyé par la masse d’informations), préférez vous écarter du débat, ou demander à prendre du recul en laissant passer quelques jours et revenir plus tard sur l’article/livre/personne.
Esotérisme et sciences :
En épistémologie, et selon Karl Popper dans sa Logique de la découverte scientifique, il serait vain de prétendre « vérifier » une hypothèse ; on ne pourrait que montrer son caractère préférable par le fait qu'elle résiste mieux que d'autres à des tests empiriques. La qualité scientifique d'une proposition ne serait donc pas de l'ordre de la justification, comme le croit l'empirisme naïf, mais de l'ordre de la « falsification » (ou réfutabilité). Une hypothèse serait scientifique si, sans être (encore) réfutée, on peut concevoir une expérience capable de la réfuter.
Du point de vue de l’ésotérisme, une idée, un argument doit pouvoir résister à la critique et être ainsi mis en application. Si quelqu’un affirme une connaissance, celle-ci nécessite d’être éprouvée.
Néanmoins, par exemple pour certains domaines qui demandent un certain niveau de perception, comme dans le cadre de la médiumnité, de la pratique magique : éprouver peut devenir compliqué, et il peut y avoir ainsi plusieurs niveaux de critiques.
Entre un paradigme mythologique, mystique, pratique se heurtent parfois des différences inconciliables. Mais la foi ne saurait être un argument d’autorité pour une connaissance éclairée.
Par ailleurs, critiquer et faire preuve de discernement demandent la capacité à être capable de remettre en cause sa vision du monde, sa perception du réel, ses croyances. Eléments que les psychés les plus fragiles (ce qui peut nous arriver à tous dans nos vies) ne peuvent pas toujours supporter.
Est-ce pour autant une excuse pour ne pas discerner ? Non, mais il convient en ce cas de distinguer “je crois” de “je sais”.
Conclusion
N’oubliez jamais que “persuasion” est issue de Péitho en grec ancien. Déesse océanide de la séduction et de l’amour.
Et la connaissance (du grec γνῶσις, gnôsis : connaissance), la gnose est la valorisation de la connaissance. Comprendre, apprendre, prendre connaissance. Et que cette voie de la révélation du Monde peut devenir mystique. Car Alètheia, déesse grecque de la vérité, est celle qui lève le voile et qui s’oppose à la doxa (l’opinion).
Dans un domaine en perpétuelle évolution. Aux croisements de sciences diverses : physique, anthropologie, sociologie, psychologie, philosophie, histoire... L’ésotérisme a besoin de retrouver son art de la critique pour ne plus souffrir de ses dérives et de ses extrêmes.
Mais la critique demande de se libérer du besoin d’enchantement du monde, du besoin de référents d’autorités, du charisme, de nos travers personnels et sociaux, pour ainsi découvrir la véritable force de notre science : révéler une connaissance cachée, en nous-même et dans l’Univers.
L’esprit critique est ainsi l’outil indispensable du voyageur sur le chemin de la découverte.
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Sources :
https://fr.wiktionary.org/wiki/esprit
https://fr.wiktionary.org/wiki/critiquer
https://fr.wiktionary.org/wiki/%CE%BA%CF%81%CE%AF%CE%BD%CF%89
http://www.antonyme.org/antonyme/critique
http://www.devoir-de-philosophie.com/dissertation-esprit-critique-8345.html
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/phlou_0776-5541_1905_num_12_46_1889_t1_0282_0000_2
http://cortecs.org/cours/pensee-critique/
http://fr.wikipedia.org/wiki/Esprit_critique
http://fr.wikiquote.org/wiki/Esprit_critique
http://www.franceculture.fr/emission-les-matins-la-societe-de-l%E2%80%99information-a-t-elle-noye-notre-esprit-critique-2013-03-07
https://fr.wikipedia.org/wiki/Al%C3%A8theia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Gnose
https://fr.wikipedia.org/wiki/Hygi%C3%A8ne_des_mains
http://www.cnrtl.fr/definition/crédulité
http://www.philoflo.fr/resources/UNE+PATHOLOGIE+DE+LA+CROYANCE.pdf
http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9j%C3%A0-vu
http://fr.wikipedia.org/wiki/Membre_fant%C3%B4me#Corr.C3.A9lation_de_la_r.C3.A9organisation
http://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_%C3%A9motionnel
http://www.psychomedia.qc.ca/psychologie-cognitive/2013-03-14/distorsions-cognitives-liste-definitions
http://therapie.cognitive.free.fr/principes.html
Kant, critique de la raison pure
Le Point, références : Séduire, manipuler, vaincre, Mai-Juin 2015
Image : http://www.musee-rodin.fr/fr/rodin/fiches-educatives/rencontre-rodin-et-munch (Rodin, le penseur)
Post scriptum :
Je remercie tout particulièrement @Fennec pour la réalisation de ce dossier, sans qui ses connaissances psychologiques et sa motivation n’auraient pas rendu possible ce travail.
Réalisé avec de la bonne musique évidemment : https://www.youtube.com/watch?v=-OypL1uQz6M
@Hagel